20e
Chapitre 3 - Bonsound devient Bonsound
Troisième et dernier chapitre d'une série d'articles sur l'histoire de Bonsound créée à l'occasion du 20e anniversaire de la compagnie.
Bon, on a assez parlé des fondateurs de Bonsound dans les chapitres précédents, c’est le temps de donner la parole aux artistes, aux employé·es, à celles et ceux qui ont contribué à la croissance de l’entreprise au fil des années. Mais, avant ça, on a encore un point important à aborder : le départ de Pierre B. Gourde.
Des perspectives incompatibles
C’est en décembre 2005, après un peu plus d’un an à titre d’associé, que Pierre tire sa révérence d’un commun accord avec les trois autres. Les causes de son départ sont trop complexes pour être expliquées en détail ici, mais l’important, c’est que les deux parties se laissent sans animosité, et sont toujours en bons termes aujourd’hui : Bonsound, c’est les meilleurs partners que j’aurais pu avoir dans l’industrie; encore aujourd’hui, c’est ceux avec qui j’ai eu le plus d’affinités.
Suite à son départ, Pierre occupe différents postes au sein de l’industrie. Il devient notamment directeur des relations de presse chez Indica Records, où il s’occupe aussi de tout le volet web de l’entreprise. Aujourd’hui, il est directeur général de MétaMusique, un outil de gestion, d’indexation et de diffusion de métadonnées musicales.
Guitares et séquenceurs, une recette gagnante
Maintenant que c’est dit, revenons un peu en arrière. On a déjà parlé brièvement des Breastfeeders et de Malajube; un troisième artiste marquera les premières années de la compagnie. Au moment où son projet est sur le point d’exploser en popularité, Maxime Morin, mieux connu sous le nom de DJ Champion, signe en gérance chez Bonsound. Accompagné sur scène de ses G-Strings (quatre guitaristes, un(e) bassiste et une rotation de chanteuses et chanteurs), qu’il dirige tel un chef d’orchestre derrière son ordi, Champion connaîtra un succès fulgurant tout au long de la deuxième moitié des années 2000, porté par sa combinaison unique de guitares et de beats électroniques et par l'énergie contagieuse de ses spectacles, capables de faire danser même les plus rigides d’entre nous. Ceux et celles qui l’ont vécu le savent : un show de Champion et ses G-Strings, c’est un osti de party.
La liaison avec Bonsound se fait naturellement; Yanick avait déjà été engagé par Brigitte Matte, qui bookait Maxime et l’aidait un peu à la gérance, pour être son directeur de tournée. Les deux gars deviennent vite amis, si bien que Yanick finit par devenir officiellement son gérant peu de temps après la création de Bonsound. Avec Yanick, c’était pas juste logique, ça se voyait que c’était organique aussi, explique Max. Brigitte nous passe définitivement le relais quelques mois plus tard, quand Max nous demande de s’occuper aussi de son booking.
Pour la production de spectacles, c’est une autre histoire : on aimerait vraiment pouvoir s’en charger, mais Bonsound n’a tout simplement pas le cash nécessaire pour faire rouler un show comme celui-là. On est capables de produire des bands de 4-5 membres qui se contentent d’un minimum de mise en scène; Champion et ses G-Strings, c’est une douzaine de personnes à mettre sur la route et des coûts de production beaucoup plus lourds. On savait qu’on n’avait pas les reins assez solides pour ça, fait qu’on a proposé à Spectra de s’en occuper, se rappelle Yanick.
Max arrive chez Bonsound alors que son premier album Chill ‘Em All est encore tout frais et que la tête d’affiche du grand événement du Festival International de Jazz de Montréal 2005 lui est réservée. Il ne se doute pas encore que ses G-Strings et lui rempliront sept fois le Métropolis l’année suivante, mais avant d’embarquer là-dedans, allons à la rencontre de quelques-unes des premières embauches de l’entreprise.
Moon-Hee Kim, la première employée
Avec l’ajout de Champion dans le décor, les gars se retrouvent complètement débordés par les activités de leurs artistes quelques mois seulement après l’ouverture de la compagnie; ils n’ont pas le choix, ils doivent engager quelqu’un. C’est donc en avril 2005 que Moon-Hee Kim devient la première employée de Bonsound.
J’avais 29 ans à l’époque, et je sortais avec le batteur des Breastfeeders, William. Je connaissais Yanick un peu parce que c’est lui qui s’occupait plus des Breast au début, mais c’est surtout à travers Gourmet que la connexion s’est faite. Will s’occupait du design graphique pour le groupe, fait que Gourmet m’appelait tout le temps pour avoir des logos pis plein d’affaires du genre. À un moment donné, je me suis dit : tant qu’à m’appeler à longueur de journée, il pourrait m’engager! - Moon-Hee
Le groupe est du même avis que Moon-Hee et l’encourage à faire un move. C’est dans ce contexte qu’elle invite Yanick à souper chez elle, accompagnée de Luc Brien et Suzie McLelove en guise de soutien. Une fois réunis à table, Moon-Hee dévoile à Yanick le vrai motif de son invitation : I want to work for you. Et lui de répondre : Ça tombe bien, on a décidé aujourd’hui qu’on devait engager quelqu’un. Le timing est parfait, Moon-Hee est pratiquement engagée sur-le-champ. Éventuellement, on lui demande si elle est intéressée à faire des relations de presse.
J’avais jamais fait ça de ma vie, j’étais même pas sûre de comprendre c’était quoi. Finalement, j’ai commencé à me faire des listes de presse et ça a grandi vite en l’espace d’un an; je pense que j’avais réussi à me faire 900 contacts. C’était une période explosive pour la scène musicale à Montréal, il y avait beaucoup plus de médias culturels à l’époque. - Moon-Hee
Éventuellement, elle réalise qu’exercer un métier sans formation peut parfois venir avec ses avantages, surtout quand l’objectif est de se démarquer du lot. Si ses méthodes sont moins orthodoxes que celles de la concurrence, ses chances de se faire remarquer sont peut-être plus grandes.
J’envoyais pas de vrais communiqués de presse, j'écrivais juste casually aux journalistes pour leur dire what’s up avec nos artistes. Je pense que c’est André Péloquin qui m’a dit, la première fois que je l’ai rencontré : Ah, j’aime ça recevoir des emails de ta part, parce que t’es pas comme les autres relationnistes de presse. - Moon-Hee
Eric Tremblay, le nouveau booker
Un mois plus tard, c’est au tour d’Eric Tremblay de se joindre à l’équipe, officiellement à titre d’agent de spectacles et officieusement comme cuisinier. Son sens de l’humour aura marqué les esprits chez Bonsound, tout comme la qualité indéniable de ses plats du midi. Il sera entre autres chargé du booking de Malajube pour la majeure partie de son premier séjour chez Bonsound, un rôle particulièrement important vu l’énorme quantité de shows que le groupe va faire durant son existence.
Eric est loin d’être un étranger; c’est un ami de longue date de Gourmet, avec qui il était coloc à Québec dans les années 90, à l’époque des Secrétaires Volantes. Il a été le bassiste de Demolition, un autre band de la scène rock de Québec signé chez Blow the Fuse, puis de Poxy, le projet anglophone de Xavier Caféïne.
Son arrivée dans l’équipe marque le début des lunchs fournis à tous les employés, un atout qui fait du bien compte tenu du maigre salaire et de l’absence totale d’avantages sociaux offerts par la compagnie. Malheureusement, la préparation des repas devient plus difficile à gérer au fur et à mesure que le staff grossit et que les activités des bands avec lesquels il travaille prennent de l’ampleur; Eric est contraint de raccrocher son tablier suite au premier déménagement de Bonsound quelques années plus tard, marquant la fin d’une époque.

À un moment donné, on se rend compte qu’on a de plus en plus de misère à garder le bureau propre (un problème aujourd’hui mieux maîtrisé, mais loin d’être réglé), et quelqu’un lance l’idée de payer une personne pour venir faire le ménage une fois de temps en temps. Ça tombe bien, Eric a justement une fille de 12 ans en quête d’argent de poche : Romanne Blouin, attachante comme ça s’peut pas, mais pas très habile quand vient le temps de faire sa job.
Tout le monde aimait Romanne. Elle s’exprimait bien pis elle était super curieuse, tout le temps en train de parler au monde. C’était vraiment cute à voir, sauf que criss, on la payait pour qu’elle fasse le ménage pis elle le faisait à moitié pas. Elle venait plus pour faire du PR que pour passer la moppe. - Yanick
C’est comme ça que Romanne, littéralement une préadolescente, devient la première “employée” renvoyée de Bonsound. Au final, elle aura simplement troqué sa moppe pour un laptop; après ses études, elle devient relationniste de presse chez Bonsound, puis responsable des communications, poste qu’elle occupe toujours aujourd’hui. Mais ça, c’est une histoire pour une autre fois.
Son père, lui, quitte Bonsound en juillet 2009 pour devenir le premier booker de la nouvelle agence de spectacles d’Audiogram; il y passera 8 ans avant de revenir chez nous, cette fois-ci à titre de manager. Il occupe aujourd’hui un poste complètement différent, quoique pas si loin de son ancien rôle secondaire de cuisinier : responsable du personnel et du bureau. Une position qui fait d’une pierre deux coups puisqu’elle répond à un besoin qui devient urgent au même moment où Eric décide qu’il a fait son temps sur le terrain.
Marie-Eve Rochon, plus de 15 ans chez Bonsound
Quelques mois après l’embauche d’Eric, Marie-Eve Rochon rejoint aussi les rangs du département booking; on l’a déjà présentée rapidement dans le premier chapitre pour son rôle de guitariste dans Comme un homme libre, groupe qui comprend aussi JC et son chum de l’époque, Joe des Breastfeeders. À part ça et quelques contrats d’assistante de prod, elle n’a aucune expérience en musique au moment de son embauche. Alors âgée de 28 ans, elle travaille dans une charcuterie de la Plaza Saint-Hubert depuis un bout de temps, mais pas nécessairement parce qu’elle est passionnée de saucissons.
Après une soirée bien arrosée à L’Esco avec le drummer et le guitariste des Strokes, j’étais arrivée à la charcuterie le lendemain matin pour remplacer quelqu’un, j’étais pas supposée travailler. J’étais déprimée, je me disais, voyons, ça va être ça ma vie? Fait que j’ai appelé JC cette journée-là pis je lui ai dit : Écoute, dès qu’il y a quelque chose qui s’ouvre chez Bonsound, je peux faire n’importe quoi, fait que donne-moi des nouvelles! - Marie-Eve
JC la rappelle deux semaines plus tard pour abréger ses souffrances existentielles : viens-t’en, on va essayer de trouver de quoi. Son intégration sociale chez Bonsound sera assez facile, elle qui connaît déjà tout le monde de près ou de loin à cause des Breastfeeders, mais le travail en tant que tel est loin d’être de tout repos. Même si Eric a assez de temps et d’expérience pour l’aider à prendre ses aises et découvrir les rudiments du métier, elle devra apprendre le gros de la job par elle-même.
Pendant cette période, Bonsound est encore un tout p’tit joueur, et la majorité des shows de nos artistes ont lieu dans des bars; on est encore inconnu des salles de spectacles plus établies du Québec. Marie-Eve et Eric vont travailler fort pendant des années pour défricher ce réseau-là, et leurs premiers efforts vont être particulièrement difficiles.
Je me souviens de la première fois que je suis allée à RIDEAU, Bonsound n’avait jamais fait ça, ou peut-être que Yanick y était allé tout seul une fois, mais j’y suis allée avec Eric pis on faisait vraiment pitié avec notre p’tit kiosque… Tout le monde avait des beaux visuels préparés, nous on avait des posters d’artistes collés tout croche, pis personne venait nous voir parce que personne nous connaissait. Ça paraissait qu’on savait pas pantoute c’était quoi, ce marché-là. C’est drôle quand on compare avec mes dernières années en tant qu’agente de spectacles, où il y avait tout le temps trop de monde à notre kiosque! - Marie-Eve
Marie-Eve va rester bookeuse chez Bonsound pendant plus de dix ans; suite à un arrêt de travail causé par un épuisement professionnel en 2017, elle reviendra l’année suivante pour quelques semaines seulement avant de se rendre compte que le booking n’est plus fait pour elle. De leur côté, Yanick, JC et Gourmet réfléchissent de plus en plus sérieusement à l’idée d’ouvrir un département d’éditions (avant ça, la plupart de nos artistes étaient systématiquement signés en éditions chez Third Side Music, fondée par notre bon ami Patrick Curley). Quelques discussions s’ensuivent, et Yanick propose à Marie-Eve de s’en occuper. Elle accepte sans hésiter, prête à apprendre un nouveau métier par elle-même pour la deuxième fois de sa carrière; elle est toujours directrice du département au moment d’écrire ces lignes.
Si j’avais pas eu cette opportunité-là, c’est certain que je serais partie de chez Bonsound, mais ça aurait été vraiment difficile pour moi. Après tant d’années, c’est devenu comme ma famille… je me suis fait offrir d’autres opportunités ailleurs plusieurs fois, mais j’ai jamais fait le move parce que je ne me voyais juste pas travailler ailleurs. C’est sûr qu’il y a une question de confort là-dedans, mais c’est surtout l’ambiance au bureau, l’attachement personnel envers l’entreprise… - Marie-Eve
Sébastien Paquin, mélomane financier
De retour en 2006, les opérations financières de Bonsound commencent à se complexifier, on a besoin d’un coup de main à la comptabilité; dites bonjour à Sébastien Paquin!
Avant d’arriver chez Bonsound, je travaillais en assurance-vie chez Banque Nationale. J’ai étudié au bac en arts visuels à l’UQAM, où j'ai rencontré une fille qui s’appelait Isa Guimond, qui était la blonde de Gourmet dans le temps. C’est elle qui a su que Bonsound se cherchait un comptable. Elle essayait de me convaincre de switcher, mais je lui disais tout le temps oublie ça, ils vont me payer des peanuts. Finalement, j’ai fini par céder pis, effectivement, ils m’ont payé des peanuts! - Seb
C’est par amour de la musique que Seb décide de switcher pour Bonsound, lui qui a toujours voulu travailler dans ce domaine-là. En choisissant sa passion, il est confronté à une baisse de salaire considérable, mais sa qualité de vie en est moins affectée qu’on pourrait l’imaginer. Il y a plus de 15 ans, vivre à Montréal, ça coûtait pas grand-chose comparativement aux autres métropoles. La réalité est bien différente aujourd’hui, mais c’est un choix qu’il peut se permettre à l’époque.
Dès le début, c’est avec JC qu’il travaille le plus étroitement, vu que c’est surtout lui qui s'occupait des finances de l’entreprise avant son arrivée. Même s’il se fait aider un peu, Seb doit apprendre le gros de la job sur le tas, sans formation digne de ce nom, comme ça a été le cas pour Moon-Hee et Marie-Eve avant lui.
J’avais jamais géré les finances d’une compagnie avant, juste des petits départements à la banque. C’est pas la même game. J’étais comme, tabarnak, c’est tellement intense à gérer. Pis on s’entend qu’avoir JC qui regarde ce que tu fais, ça peut être fucking stressant. N’empêche que c’est ça qui a fait que ça a marché; il me mettait une pression saine, parce que j’avais pas le choix de catcher vite comment faire les choses. Il est fucking tight, JC. C’est pas pour rien que Bonsound est rendu gros de même. - Seb
Malajube, pilier francophone du Montreal Sound
Pendant ce temps-là, Malajube profite de l'engouement international qui surgit subitement pour Montréal, la nouvelle ville chouchou de la scène indie mondiale. Le groupe est devenu un incontournable au Québec avec Le compte complet, mais c’est avec Trompe-l’oeil, son deuxième album sorti en 2006, qu’il devient reconnu à l’étranger aussi, en commençant par le Canada anglais et les États-Unis. Une critique élogieuse sur Pitchfork confirme la réputation internationale du band, si bien que l’album sort l’année suivante en Europe et au Japon sous licence sur City Slang, un label allemand initialement reconnu pour son rôle d’importateur d’indie rock nord-américain.
Avec Malajube, ça a comme explosé du jour au lendemain. Je me rappelle, j’avais un cellulaire pis une ligne fixe, les deux sonnaient tout le temps. L'intérêt n'était pas juste ici, à l’international aussi. Quand Trompe-l’oeil venait de sortir, j’étais toute seule au bureau un soir à faire de la prep pour la promo de l’album quand j’ai réalisé qu’il était rendu minuit! C’est là que j’ai compris qu’on commençait à être un peu dépassés par tout ça. - Moon-Hee
Le spectacle étant l’une des grandes forces de Malajube, on ne tarde pas à exporter cet aspect-là aussi. Le groupe joue partout, tout le temps, mais ne délaisse pas sa province natale pour autant : c’est surtout chez lui, au Québec, qu’il trouve le plus grand succès et qu’il enchaîne le plus de spectacles. En fait, c’est en partie grâce à son impressionnant volume de shows domestiques que le band est capable de tourner en Europe et au Japon. Ces opérations de développement international coûtent beaucoup plus cher qu’elles ne rapportent, surtout à l’époque, et seraient impensables sans gros roulement à l’échelle locale.
Malajube live au Independent, San Francisco, CA, 2007
Les Breastfeeders n’atteignent peut-être pas le même niveau de notoriété internationale que Malajube, mais bénéficient quand même de l'enthousiasme étranger pour leur ville d’origine, comme se le rappelle le chanteur et guitariste Luc Brien : C'est sûr que venir de Montréal était un avantage, à l'époque en tout cas. Qu’on soit à Chicago, à New York ou en Europe, on voyait souvent une grosse photo de nous quand on pognait le journal culturel de la place. Un band qui chante en français pis qui vient de Montréal, c'était un gage de confiance ou un genre de sceau d'authenticité; ils viennent de Montréal, fait que ça va être bon. Dans cette ville-là, tout le monde est bon.
Maxime Morin, Champion du Métropolis
Champion connaît aussi une certaine reconnaissance internationale, notamment grâce à l’immense popularité de sa chanson No Heaven, qui se retrouve même sur la bande sonore de deux jeux vidéo à succès de la fin des années 2000 : Borderlands et Army of Two. Pourtant, sa victoire la plus retentissante reste le succès de ses spectacles au Québec, pour lesquels un public déjà conquis n'hésite pas à s’arracher les billets, même si c’est pour le voir pour la deuxième ou troisième fois de l’année.
On réalise toute l’étendue du potentiel live de Champion pour la première fois pendant son show en tête d’affiche du Festival International de Jazz de Montréal, en 2005. C’est pas le premier spectacle du projet auquel on assiste, mais l’énergie de la foule ce soir-là donne un avant-goût de l’année à venir; le party est pogné, pis solide. Malgré la pluie battante, l’assistance compte environ 60 000 personnes; une soirée mémorable qui lui vaudra le Félix du meilleur spectacle au Gala de l’ADISQ. La fièvre va brûler encore un bon bout, puisque le Métropolis accueille sept shows de Champion en 2006, chacun affichant complet. L’année suivante, il s’attaque au Centre Bell; ce sera notre premier artiste à y jouer, et l’un des seuls.
La force de ses shows s’explique par la place qu’il accorde à son auditoire : le spectacle, c’est pas Champion et ses G-Strings, mais bien le public et l’énergie qu’il dégage. Max n’a rien inventé en prônant cette approche, qu’il retient de la scène techno à laquelle il appartenait dans les années 90. Mais, pour son nouveau public, habitué à ce qu’un spectacle consiste à regarder un artiste performer, sa proposition est un véritable vent de fraîcheur. Même les plus sceptiques finissent par se laisser charmer par l’expérience :
Quand j’ai appris qu’on allait travailler avec Champion, je pensais que les gars étaient tombés sur la tête. Je voulais rien savoir de la musique électronique, j’avais écouté son album pis je comprenais pas pourquoi on s’intéressait à ça. C’était juste vraiment pas mon style. J’ai compris la première fois que je l’ai vu en show; j’y suis allé à contre-coeur, je me suis quasiment fait traîner de force. Mais, en sortant de là, il n’y avait plus aucun doute dans ma tête que ce gars-là allait devenir une star. Le charisme, l’énergie, le public qui capote, l’orchestre de guitares, Betty (Bonifassi), toute. - Eric
Si on réussit à survivre à nos premières années, c’est en grande partie grâce au succès des tournées de Champion et de Malajube, dont les retombées vont au-delà de l’aspect financier. Les deux projets sont drastiquement différents, ce qui permet à nos bookers de défricher des réseaux qui le sont tout autant. Champion nous aide à nous faire une place auprès des gros festivals et des diffuseurs grand public, tandis que Malajube nous permet d’aller partout au Québec et nous ouvre des portes auprès du circuit indie.
Une faillite évitée de justesse
Pendant quatre ans, on se débrouille relativement bien. D’un œil extérieur, on dirait même qu’on a le vent dans les voiles; la vérité, c’est que la compagnie reste extrêmement fragile. En 2008, Bonsound passe à deux doigts de fermer; la crise économique mondiale y est certainement pour quelque chose, mais c’est surtout pour une question de mauvais timing que l’entreprise se retrouve au bord du précipice. Prêts à tout pour trouver une solution, les gars finissent par essayer quelque chose qui leur demandera de piler sur leur orgueil.
On avait pu une ostie de cenne, pu rien, parce que Malajube, Champion pis les Breast ont arrêté en même temps pour prendre une pause entre 2 albums, pis ça faisait juste 4 ans qu’on existait, donc on était encore assez fragiles. On a eu des rencontres avec Audiogram pour savoir s’ils étaient intéressés à nous acheter - on a littéralement offert Bonsound à Michel Bélanger, pis on était prêt à vendre ça pour des peanuts. On était complètement désespérés, on savait pu quoi faire. - JC
Audiogram décline la proposition, et Bonsound persévère tant bien que mal; on va éviter la faillite de justesse avant de retrouver un peu de stabilité financière au tournant de la décennie, quand on va commercialiser nos premières sorties en tant que label et ouvrir un vrai département de prod, ce dernier nous permettant de bénéficier de crédits d’impôt.
Les départs de Moon-Hee
Toute cette action finit par s’avérer trop intense pour Moon-Hee, qui a passé trois ans à se donner corps et âme pour Bonsound. C’est pas juste une question de charge de travail; c’est aussi par épuisement émotionnel qu’elle se retrouve contrainte à quitter l’entreprise en 2008.
On travaille, pis après ça, on va aux shows le soir. C'est encore du PR pareil le soir. Même si c'est le fun, aller voir des shows… Toute ta vie, c'est le travail. C'est difficile de s’en détacher en rentrant à la maison, surtout quand les artistes t'appellent le soir sur ton cell. T’es trop passionnée et t’en donnes trop et ton corps, éventuellement… C'était mental, physique, émotionnel, toute. - Moon-Hee
Comme on le comprend aujourd’hui, Moon-Hee aurait dû prendre une pause pour se reposer et reprendre des forces. Le burnout étant plus tabou et moins bien compris à l’époque, elle se contentera plutôt de changer de job. Elle arrive alors chez Productions Version 10, une firme de production et de conception numérique, où elle gère les réseaux sociaux de clients comme Herby Moreau, Alex Kovalev et Vincent Vallières.
Quand j’ai fait mon burnout, il aurait fallu que je prenne un break. Au lieu de faire ça, je suis allée travailler pour ces gens-là, sauf que c’était pas mon monde, le showbiz et le star système. JC, Yanick et Gourmet, c'était comme mes frères. Je me suis dit non, non, non; je veux retourner avec mes gens. J’aurais dû prendre un break pour vrai, mais je pensais que j’étais pas bien parce que ma famille me manquait. - Moon-Hee
Moon-Hee revient chez Bonsound en 2010, deux ans après son burnout initial. Elle ne fait plus de promo ni de relations de presse; elle touche un peu à tout dans une optique de développement de carrière, surtout avec les nouveaux bands. Elle gardera ce poste jusqu’en 2014, année de son deuxième burnout.
I was putting a lot of pressure on myself. Quand j’ai démissionné à mon deuxième burnout, JC m’a dit quelque chose comme : tu sais, t’as beaucoup de misère à dire non, mais t’as toujours le droit de dire non. Si t’en as déjà trop dans ton assiette, c’est important de le dire. Parce que moi, c’est comme ça que j’ai été élevée, par des parents coréens. On m’a appris que j’ai pas le droit de dire non. Maintenant, c’est pour ça que je travaille à temps partiel; I’m a funding administrator, je fais juste des demandes de subs, pis j’ai juste ça à faire. Je fais mon propre horaire. - Moon-Hee
En effet, Moon-Hee est aujourd’hui responsable du financement chez Forward Music Group, une compagnie de gérance et label basée à Halifax qui ressemble à Bonsound dans sa structure et sa mission.
Magali Ould, de serveuse à directrice des communications
Avec le premier départ de Moon-Hee en 2008, Bonsound perd un gros morceau qui doit être remplacé le plus vite possible. On avait déjà engagé Isabelle Ouimet, la coloc de Gourmet, pour lui donner un coup de main quelques mois avant sa démission; c’est elle qui prend le relais pour l’instant, mais la charge est trop lourde pour une seule personne. Comme tout le monde est trop dans l’jus pour s’occuper de l’ouverture du poste, c’est encore une fois une connaissance de l’entourage qui prendra l’initiative de postuler : Magali Ould.
À l’époque, Magali est à la maîtrise en études cinématographiques à l’UdeM, et son expérience se résume pas mal aux side jobs qui ont parsemé son parcours étudiant, pour la plupart en restauration. Même si c’est payant, elle est tannée de travailler dans ce domaine, et désireuse de se trouver une job qui se rapproche de ses aspirations tout en finissant sa maîtrise.
Mon ex jouait avec Gourmet dans Le Nombre. Il m’a dit qu’il y avait une fille en arrêt de travail chez Bonsound, alors peut-être qu’ils cherchaient quelqu’un. J’ai envoyé mon CV à Gourmet, pis il m’a appelé. Il m’a dit, ah, c’est cool, tu connais Photoshop. On va patenter quelque chose. Ils avaient besoin d’aide, mais t’sais, j’avais aucune expérience. Je pense qu'il a vu que j'avais l'air débrouillarde, pis que je faisais une couple d'affaires de graphiste, des choses comme ça. - Magali
Magali commence vite à aider Isabelle avec les relations de presse. Puisque cette dernière a déjà de l’expérience dans le domaine, elle est au moins en mesure de former Magali entre deux courriels, pendant les rares moments de répit. À l’époque, l’équipe de Bonsound comprend 8-10 employé.es; juste assez pour que l’intégration soit un peu intimidante. Faut dire que le setup bancal du bureau aide pas à faciliter les interactions : la toilette se trouve en plein milieu du local, dans une petite pièce sans plafond, équipée d’une radio pour dissimuler les sons plus gênants…
C’était super awkward pendant mes premières journées, parce que j'étais full gênée, pis t'sais, on t'assoit là, on te donne une job, mais on a pas le temps de te former… J'étais assise à côté de JC, mais j'avais aucune idée c’était qui, personne me l’avait présenté. Je me rappelle que, quand j'ai commencé à travailler, Malajube était au Japon. C'était un peu le bordel parce qu’il y avait un problème avec les chambres d’hôtel ou quelque chose de même. C’était assez chaotique. J'entendais des bribes de conversations, j'étais comme, mais qu'est-ce que c'est que cette industrie-là? Qu'est-ce qui se passe? C'était vraiment surréel pour moi. Ça a pris un bout avant que je m'habitue. - Magali
Malgré les circonstances imparfaites, Magali apprend très vite; elle restera quatre ans chez Bonsound, et sera éventuellement à la tête du département des communications avant de quitter. Au cours de sa dernière année, elle sent grandir en elle l’impression de plafonner, d’avoir fait son temps. Son ascension rapide au sein de l’entreprise l’aura menée dans une impasse; elle a beaucoup de responsabilités et son rôle est primordial, mais le pouvoir décisionnel lui reste inaccessible. Au final, ça reste l’entreprise de Yanick, JC et Gourmet.
Je suis le genre de personne qui a toujours besoin d’avancer et d’entreprendre de nouveaux projets pour être vraiment épanouie, c’est dans ma nature. Je pense que c’est ce qui a fait que Bonsound était un aussi bon fit pour moi au début, parce que je suis arrivée à l’époque où tout était encore à construire. Mais c’est aussi pour ça que je me suis retrouvée dans une situation qui ne me convenait plus tout à fait après quelques années. Je pense que les gars voulaient me faire plus de place dans la prise de décisions en théorie, mais qu'en pratique c'était plus difficile qu’on pourrait le penser, et que c'était pas évident parce que c'était leur compagnie et qu'ils l’avaient partie ensemble. On a essayé de trouver des solutions, mais on a vite réalisé qu’on tournait un peu en rond. - Magali Ould
Ce besoin de progression, évidemment accompagné d’autres facteurs, pousse Magali à prendre l’une des décisions les plus déchirantes de sa vie : J’ai été super torturée là-dedans. J’ai écrit une lettre que j'ai lu parce que je savais pas comment leur annoncer, pis je me rappelle que j’ai pleuré pendant 20 minutes en essayant de la lire. C'était super dramatique, mais bon, en même temps, des employés qui quittent, c’est la vie. Aujourd’hui, je pense que c’est surtout parce que c’était ma première vraie job. J'étais très passionnée, très attachée aux projets, aux artistes, à mes collègues, aux trois associés. C'est quand même Gourmet qui m'a donné une job dans l'industrie de la musique. C'est un peu grâce à lui si je suis là aujourd'hui. J'ai tellement appris chez Bonsound.
Bonsound Records, le département label
L’arrivée de Magali chez Bonsound coïncide à peu près avec les premiers albums commercialisés sous le nom de la compagnie. L’intérêt d’ouvrir un département label se présente pour la première fois en 2007, quand Yann Perreau approche Bonsound pour la sortie de Perreau et la Lune, son album live au Quat’Sous. On se rend vite compte que le projet n’a pas sa place sur Blow the Fuse ni Proxenett, qui est pas mal sur le respirateur artificiel à ce stade-ci, et le même problème revient chaque fois qu’on envisage de travailler avec un nouvel artiste qui n’est pas déjà signé ailleurs; on a les connaissances et les ressources pour commercialiser des albums, aussi bien commencer à le faire sous Bonsound quand ça en vaut la peine.
Perreau et la Lune sort donc en janvier 2008 sous Bonsound Records. Au départ, on n’a pas l’intention d’accorder beaucoup d’importance au label; ça reste un service secondaire qu’on peut proposer quand l’opportunité se présente, mais on ne cherche pas activement à signer de nouveaux artistes. Les sorties Bonsound se feront donc relativement rares pendant quelques années.
Nos critères pour signer un projet en label sont simples : on doit évidemment trouver ça bon, mais on veut aussi que ça corresponde au genre d’artistes qu’on s’est donné pour mission de représenter. Ni trop mainstream ni trop nichés, pognés quelque part entre L’Esco pis Sucré Salé. C’est dans cette optique qu’on va sortir les premiers albums de Radio Radio (Cliché Hot, avril 2008) et de Marie-Pierre Arthur (février 2009), entre autres. Des projets qui réussissent à atteindre les ondes de la radio commerciale :
Le premier album de Marie-Pierre Arthur avait eu plusieurs hits à CKOI, Énergie… c’est des albums qui ont vraiment bien marché commercialement parlant. Back in the day, quand Radio Radio ont sorti la chanson Jacuzzi, tout le monde capotait. Ça avait aucun sens, on entendait la toune partout cet été-là. Fait que pour moi, c’est vraiment avec ces albums-là que je me rappelle de m’être dit : wow, ok, ça se passe, là. On a du succès. - Magali
La perspective de Magali est tout à fait logique, mais ce sont plutôt les artistes en tant que tels qui ont du succès; la réalité financière de Bonsound est tout autre. L'investissement nécessaire à l’implantation du label et à la commercialisation de ces premières sorties fait mal, et Bonsound devra attendre quelques années avant de toucher un revenu là-dessus. On réussit à garder la tête hors de l’eau, mais l’insécurité demeure.
C’est en 2011-2012 que Bonsound commence à voir la lumière au bout du tunnel pour la première fois. Avec Radio Radio qui commence à faire de plus gros festivals et Champion qui recommence à tourner, on a un bon roulement du côté des spectacles. Au label, on a quelques projets qu’on peut considérer comme des succès commerciaux modérés : le deuxième album de Marie-Pierre Arthur se rend jusqu’à 25 000 copies vendues, et celui de Radio Radio se rapproche du disque d’or avec des ventes de presque 40 000. Sinon, la plupart réussissent à atteindre au moins 10 000; on sait que c’est pas grand-chose, mais c’est déjà beaucoup mieux que ce qu’on pouvait atteindre avec Gwenwed ou les premières sorties de Blow the Fuse à nos débuts.
Pendant cette période, la perspective de Bonsound est à l’opposé de celle des entreprises plus établies de l’industrie, qui s’affolent devant les ventes de disques en chute libre. Vivre l’âge d’or du CD pour ensuite voir ses ventes d’albums diminuer de 50% en 10 ans (2004-2014), ça fait mal, et surtout très peur. C’est le genre de crise qui peut causer un effet domino dévastateur en un claquement de doigt : les grosses maisons de disques ont généralement des équipes assez grandes, pis tout ce beau monde-là doit être payé, certain·es avec un salaire qui reflète des revenus jusque-là substantiels.
De son côté, Bonsound a le privilège de l’agilité : peu d’employés, maigres salaires, pas grand-chose à perdre. De toute façon, on a moins de raisons de s’inquiéter pour nos profits si on n’en a jamais vraiment fait; la grande majorité des projets avec lesquels on travaille à l’époque ne sont pas assez mainstream pour être rentables, même dans un contexte pré-chute du disque. On est aussi avantagés par notre modèle d’affaires, qui repose alors sur les spectacles et la gérance plutôt que la vente d’albums. Le téléchargement illégal, bête noire de l’industrie, nous apparaît bénin, voire même avantageux : tant mieux si les gens piratent, ça fait plus de monde qui vont découvrir nos artistes et venir à nos shows.
C’est sans compter le fait qu’on est arrivés dans l’industrie de la musique en pleine période de grands bouleversements; entre 2004 et 2012, tout change tellement vite qu’on n’a jamais le temps de poser des bases solides ou de s’habituer à des façons de faire précises. À force de devoir composer avec chacun de ces changements, qu’on parle de l’arrivée du piratage, d’iTunes, de la mort du CD ou, plus récemment, des plateformes de streaming et de la renaissance du vinyle, Bonsound a développé une grande capacité d’adaptation qui lui a permis de toujours s’assurer une place au devant de la courbe.
Lisa LeBlanc, l'étoile de Rosaireville
Alors qu’on commence à peine à garder la tête hors de l’eau, on signe une artiste qui changera le cours de notre histoire. Du haut de ses 22 ans, l’auteure-compositrice-interprète acadienne Lisa LeBlanc devient une star du jour au lendemain grâce à l’énorme succès de son premier album, en 2012. Signée chez Bonsound en gérance, label, booking et production de spectacles, elle aura un impact colossal sur la croissance de l’entreprise, qui est en voie de devenir l’un des joueurs les plus importants de l’industrie musicale francophone au Canada.
Le premier contact entre Lisa et Bonsound a lieu dans un événement de réseautage de la FrancoFête en Acadie, à Moncton, lorsqu’elle y rencontre Yanick. À ce moment-là, elle connaît déjà bien l’entreprise et ses services; après tout, ça fait plusieurs années qu’elle roule sa bosse, et elle a bien fait ses devoirs quand est venu le temps de se trouver une équipe.
Depuis le début, je voulais aller chez Bonsound. Je les connaissais à cause de Radio Radio, que j’aimais beaucoup, pis Les Breastfeeders aussi. J’ai catché en faisant mes recherches que j’aimais vraiment leur roster, je trouvais ça cool, ce qu’ils faisaient. Encore aujourd’hui, je trouve ça cool, ce qu’ils font. - Lisa LeBlanc
C’est une connaissance commune qui présente Yanick à Lisa, en prenant bien soin de souligner abondamment le désir de cette dernière de rejoindre le roster de Bonsound. Pour l’instant, ce premier échange ne mène pas à grand-chose; Yanick aussi connait déjà Lisa puisque Bonsound avait reçu ses démos, mais l’enthousiasme n’est pas nécessairement partagé de son côté.
Il m’a dit qu’il trouvait ça bin cool ce que je faisais, mais que ça faisait pas l’unanimité au bureau, pis que Bonsound passerait son tour pour l’instant. Il m’a encouragé à continuer, pis ça c’est terminé de même. Je me rappelle qu’il m’avait semblé sincère, j’avais trouvé ça vraiment cool qu’il soit autant honnête pis down to earth. J’ai pas pantoute senti d’hypocrisie de sa part. Déjà à ce moment-là, je savais par expérience que c’était rare, dans cette industrie. - Lisa LeBlanc
Yanick ne le sait pas encore, mais il va bientôt se revirer sur un dix cennes, sans consulter ses collègues. Des fois, il faut voir l’artiste sur scène pour que le déclic se fasse; c’est ce qui se passe quand il assiste au spectacle de Lisa, un peu plus tard.
Après mon show, il est venu me voir pour me dire qu’il avait capoté pis qu’il était prêt à me signer en gérance sur-le-champ. Ça a été un autre green flag pour moi; son honnêteté m’avait déjà mise en confiance plus tôt, pis là je trouvais ça vraiment nice qu’il ose revenir sur sa décision comme ça, au lieu de rien dire par orgueil. Ça a comme confirmé ma première impression. - Lisa LeBlanc
Yanick aurait pu être malchanceux; s’il n’était pas convaincu dès le départ, d’autres avaient Lisa dans leur mire. Heureusement, la principale intéressée n’a pas eu de coup de cœur suite aux discussions qu’elle avait entamées, le choix était donc évident. Elle accepte la proposition de Yanick, et ne tarde pas à signer auprès de tous nos autres départements.
Le succès de son premier album, en partie propulsé par l’immense popularité de sa chanson Aujourd’hui, ma vie c’est d’la marde, est si rapide qu’on ne peut s’empêcher d’être pris par surprise. Laurent Saulnier, anciennement journaliste musical au Voir et ex-directeur de la programmation des Francos et du Festival International de Jazz de Montréal, s’en rappelle bien : Quand Lisa est arrivée, tout le monde savait qu’elle avait un potentiel gigantesque, mais je pense que personne ne se doutait que c’était pour aller aussi vite que ça.
Quand Laurent programme Lisa LeBlanc aux Francos cette année-là, il la place initialement aux Katacombes, défunte salle légendaire du boulevard Saint-Laurent, dans le cadre de la série de shows payants de fin de soirée. C’est un très bon fit, elle qui a toujours voulu jouer dans un bar métal, mais la sortie de l’album vient changer la donne. La toune est devenue tellement grosse tellement vite que quand on était rendus à faire la programmation extérieure, on a rappelé Bonsound et on a dit : On devrait rajouter un show de Lisa, mais un show gratis. On l’avait placée à 18h sur la Place des festivals; c’est certainement l’une des Place des festivals les plus pleines que j’ai vu à cette heure-là dans l’histoire des Francos. C’est en montant sur scène que Lisa comprend pour la première fois l’ampleur de son succès : C’était plein à craquer, tout le monde chantait les paroles. Être sur scène à vivre ça avec mes chums, c’est certainement un des plus beaux moments de ma carrière.
Lisa LeBlanc s’écoule à 80 000 copies en un peu plus d’un an, pulvérisant nos précédents records. Ce sera notre seul succès de ventes physiques de cette envergure, tout juste avant la mort indéniable du CD. Quand on ajoute ça à ses spectacles et à nos autres projets qui marchent bien à ce moment-là, on comprend comment la compagnie réussit enfin à terminer une année financière vraiment dans le vert.
Le premier album de Lisa déclenche une poussée de croissance généralisée chez Bonsound, tant au niveau du nombre de sorties que de l’effectif d’employés. Son succès nous aura inspiré à considérer le label comme un secteur d’activité véritablement important pour la première fois : alors qu’on sort seulement 4 albums en 2012, on en sort plus du double en 2013, et le rythme se maintient jusqu’en 2016; c’est probablement l’année où on a compris que c’est juste too much, travailler sur autant de sorties chaque année. On engage aussi 6 personnes dans les dix mois qui suivent l’album.
On n’a jamais voulu être une aussi grosse équipe, même qu’on a toujours été très réticents à l’idée. Je me souviens qu’on était 12 quand on a déménagé pour la première fois, pis qu’on s’était dit : Hey, on essaye de tougher le plus longtemps possible à 12, pas plus. Pis là, après Lisa, on a à peine eu le temps de respirer qu’on était rendus 20. - Gourmet
L'influence de Bonsound, 20 ans plus tard
C’est à partir de ce moment-là que Bonsound commence à devenir l’incontournable de l’industrie qu’on connaît aujourd’hui. La réputation de la compagnie prend de l’ampleur au fur et à mesure qu’elle multiplie les nombreux projets qui auront marqué notre paysage musical des 15 dernières années. Philippe B, Dead Obies, Safia Nolin, Milk & Bone, Geoffroy, Pierre Kwenders, Les Louanges, Elisapie, P’tit Belliveau, Population II; la liste est longue, et c’est sans compter la multitude de projets locaux et internationaux qu’on va développer en booking au fil des années.
20 ans après sa fondation, l’influence de Bonsound continue à se faire sentir un peu partout dans l’industrie québécoise, en grande partie portée par les personnes talentueuses et profondément passionnées qui ont transmis la philosophie et les valeurs de l’entreprise à d’autres suite à leur départ. On pense entre autres à Seb Paquin, qui a rejoint les équipes d’Opak Media et Simone Records avant de co-fonder Costume Records. Faut croire que retourner travailler pour une banque ne l’intéressait pas.
Pour moi, Bonsound, c’est vraiment le premier modèle hybride, pro mais punk en même temps, cool sans être broche à foin. C’est une philosophie qui a déteint sur d’autres compagnies. Y’a beaucoup de monde, genre Ambiances Ambiguës / Duprince ou Bonbonbon, qui ont une vibe et une structure similaire. Bonsound a fait des petits, c’est clair. - Seb
Quand on lui demande quel aspect de Costume Records est le plus inspiré de son passage chez Bonsound, sa réponse est claire et immédiate : la transparence envers les artistes. C’est un truc qui a toujours été super important chez Bonsound; être transparent avec où on en est dans les états de comptes, essayer de fournir les chiffres le plus rapidement possible, l'accès aux données, séparer l’argent qui appartient aux artistes de celui qui appartient à la compagnie, ces trucs-là. C’est vraiment quelque chose qu’on trouvait important d’instaurer dès le début chez Costume, chez Simone aussi. Ça a l’air niaiseux, mais c’est pas le cas dans toutes les compagnies.
Même son de cloche chez Magali Ould, qui a été recrutée par Secret City Records, l’un de ses labels préférés, tout de suite après son départ de Bonsound. Aujourd’hui directrice générale après plus de dix ans au sein de l’entreprise, la transparence est une valeur qu’elle s’est assurée de transmettre elle aussi.
Si une campagne d'album est difficile, on ne va pas faire à semblant que tout va bien. L'espèce d'attitude de protéger les artistes et de prétendre que tout est correct quand tout le monde se tire les cheveux parce qu'il y a plein d'affaires compliquées, je trouve que ça n’a pas sa place. Pour moi c'est tellement important, j'ai toujours apprécié ça chez Bonsound. JC était super straight up; Il n'y avait pas d'embellissement, c’était toujours en mode solution. Le keep it real, c'est aussi quelque chose que j'ai vraiment gardé avec moi. - Magali
Outre l’aspect business, une grosse partie des apprentissages qui ont marqué Magali sont d’ordre plus personnel, particulièrement en ce qui concerne les responsabilités humaines qui découlent de la position d’employeur.
Tomber sur ces personnes-là comme premiers contacts dans l’industrie, aujourd’hui je réalise à quel point c’est une chance extraordinaire. J’aurais pu tomber sur des gens vraiment plus dark; on a tous déjà entendu des histoires d’horreur en lien avec l’industrie de la musique, malheureusement. Juste le travail sous pression, c’est quelque chose de tellement présent en musique; tout est toujours en retard, travailler avec des artistes, c’est souvent compliqué, des fois ils changent d’idée… on se met beaucoup de pression pour que ça fonctionne parce qu’on travaille pour des entreprises qui ont pas beaucoup d’argent, mais aussi parce qu’on tient personnellement au succès des artistes qu’on aime… c’est sûr que d’arriver là-dedans avec aucune expérience, en connaissant rien, tu paniques un peu pis tu te dis, voyons, comment je vais faire pour y arriver? D’avoir Gourmet qui te dit, hey, on pourrait être ici jusqu’à minuit tous les soirs pis on aurait encore des choses à faire, fait qu’à un moment donné, il faut que tu tires la plug, tu décroches, et tu reviendras demain, ça a fait toute la différence pour moi. On sauve pas des vies, on n’est pas des chirurgiens. Oui, c’est super important la musique et ce qu’on fait pour nos artistes, mais tout peut devenir tellement dramatique tellement vite que ça devient juste contre-productif. Ça, c’est vraiment un conseil qui m’a aidé à garder ma passion pour mon travail tout au long de mon parcours. - Magali
Yanick aussi a eu un rôle marquant dans l’ethos d’employeur que prône aujourd’hui Magali : Je me suis toujours sentie protégée, comme si on avait mon back coûte que coûte. Il est arrivé des instances où des gérants m’appelaient pis me criaient après solide, des fois parce que j’avais merdé, d’autres fois pour aucune raison valable, seulement par power trip, j’imagine. Dans les deux cas, je pouvais m’attendre à voir Yanick les rappeler pour leur dire : hey, non, tu peux pas parler à mon employée comme ça, c’est inacceptable. Ça m’a aidé à bien faire mon travail, mais ça m’a aussi montré que c’était important de faire ça. Maintenant que j’ai des employé·es à ma charge, je pense à ça aussi.
C’est ainsi que se termine notre série d’articles sur les origines de Bonsound, pile à temps pour clore l’année de nos 20 ans. Évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là; il y aurait encore énormément à couvrir post-2012, mais on a préféré se concentrer sur les événements qui ont posé les bases de la compagnie telle qu’on la connaît aujourd’hui. Qui sait, peut-être qu’on peut s’attendre à une suite pour notre 30e? On verra ça rendu là, mais pour l’instant, on a encore quelques remerciements à faire. Un nombre incalculable d’individus ont contribué à faire de Bonsound l’entreprise qu’elle est devenue, et tous les nommer ici serait impensable; on tient quand même à les remercier sincèrement.
On remercie aussi les gens qui achètent des disques, celles et ceux qui vont voir des shows, les diffuseurs qui les présentent, les médias qui continuent de couvrir la musique émergente locale, les disquaires qui partagent leurs coups de coeur, les organismes qui soutiennent financièrement l’industrie et, surtout, les artistes, sans qui le monde serait beaucoup plus gris; c’est aussi grâce à vous si on tient encore debout.
Encore une fois, merci!
Chapitre 2 - L’origine d’un nouveau modèle d’affaires
Deuxième chapitre d'une série d'articles sur l'histoire de Bonsound créée à l'occasion du 20e anniversaire de la compagnie.
Fait que c’est ça, 1er octobre 2004, Bonsound existe pour vrai, avec un local pis toute. Jean-Christian Aubry, Yanick Masse, Gourmet Délice et Pierre Gourde se retrouvent avec une entreprise à bâtir, mais ne savent pas encore précisément quelle forme elle prendra, ni de quelle façon elle se financera. L’argent sera d’ailleurs une source considérable de stress et de défis tout au long de la première année d’existence de la compagnie, et les problèmes n'attendront pas le 2 octobre pour se pointer le bout du nez.

Précarité financière et débrouillardise
En fait, une mauvaise surprise se révèle aux quatre associés dès le paiement du premier mois de loyer. Gourmet a quelques centaines de piasses dans le compte de Blow the Fuse, et le loyer est assez abordable, même pour l’époque – c’est donc lui qui s’occupe de payer le premier mois. Peu de temps après avoir préparé le chèque, Gourmet reçoit un appel de son ami Vincent Posadzki, batteur des Secrétaires Volantes; un simple rappel amical qu’il lui doit encore 29$. Pourquoi? Ça, on s'en rappelle pas, mais crisse qu’on se rappelle du montant, par exemple. Pas de problème, Gourmet signe le chèque et le remet à Vincent, sans se demander s’il a les fonds nécessaires; après tout, on parle seulement de 29$, pas de quoi se ruiner. Vincent encaisse son chèque et récolte son dû avec succès, mais le propriétaire du local n’a pas la même chance quand vient le temps d’encaisser le sien le 1er octobre venu… Le chèque rebondit, il manque 4,25$ dans le compte de Blow the Fuse. Oups.
La situation se règle assez rapidement, mais ce n’est qu’un avant-goût des péripéties qui attendent Bonsound. Une fois le mois d’octobre entamé, les associés décident d’organiser un party de financement au bureau, question de pouvoir s’acheter le strict minimum en termes de matériel. Les ventes d’alcool rapportent 608$, et c’est Yanick qui est chargé d’aller le déposer à la banque le lendemain.
J’avais déjà un arrêt à faire à L’Esco cette journée-là, probablement pour leur donner des posters, donc je me suis porté volontaire pour aller déposer l’argent en même temps. En plus de l’argent du party, j’avais d’autres petits trucs à déposer, genre des rouleaux de 25 cennes pis des chèques de revenus de shows. Je suis allé faire mon dépôt à la banque après être passé à L’Esco, pis j’ai regardé le relevé seulement à mon retour au bureau. J’ai tout de suite catché qu’il y avait un problème, pis en faisant le calcul je me suis dit : tabarnak, ça marche pas, il manque 608$! — Yanick
C’est comme ça que Yanick réalise qu’il a perdu l’argent en chemin. Les revenus du party étaient placés dans une enveloppe, à l’écart du reste du dépôt. On ne l’a jamais retrouvée. Tout ce que le party de financement aura rapporté aux gars, c’est un bordel dans leur nouveau bureau et le ménage le plus déprimant de leurs vies.
À cette époque, JC est le seul à posséder une carte de crédit, et celle-ci sert principalement à financer les activités de la compagnie. Limitée à 1500$, elle est évidemment toujours loadée : Ça nous arrivait souvent d’avoir même pas assez de fonds pour acheter un paquet de papier à 7$. La carte de crédit de JC nous a souvent sauvé pour ce genre de dépenses, se rappelle Gourmet. Le papier d’imprimante peut sembler anodin, mais à une époque où les courriels n’ont pas encore été démocratisés, ça représente une dépense considérable; les contrats de shows, par exemple, s’envoient toujours par la poste ou par fax. Pas de papier, pas de contrat. Ça, c’est sans compter l’encre pour imprimante, qui est beaucoup plus dispendieuse. Pour s’en procurer, les gars doivent laisser la commodité de côté : hors de question d’acheter des cartouches d’encre préremplies quand on peut se faire chier à remplir les cartouches vides soi-même à grands coups de seringue. C’est gossant, c’est salissant, ça demande de la minutie pis ça fait perdre un peu de temps, mais ça coûte pas mal moins cher pis c’est mieux que rien. C’est aussi vraiment préférable pour l’environnement, mais ce point-là ne fait pas encore partie des priorités de Bonsound en 2004.
Un milieu de travail atypique
Malgré les problèmes d’argent qui s’enchaînent, les gars sont relativement chanceux et réussissent toujours à s’en sortir. On combinait nos ressources : si l’un de nous quatre avait du pain, un autre du beurre de peanuts et un troisième des pogos, on était safe pour passer à travers la journée, dit Gourmet. Exact, on était pauvres, mais faut pas non plus exagérer, on réussissait quand même à se débrouiller, complète JC. Même si on a fait un peu moins de 18 000$ chacun dans la première année, on avait un toit sur la tête, on mangeait, on pouvait se payer du weed et des pintes à L’Esco. C’était suffisant pour survivre, à l’époque.
Parlant de weed, le cannabis fait partie intégrante de la vie de bureau chez Bonsound, surtout pour Pierre et Gourmet – si bien que sa consommation est à l’origine du tout premier règlement de l’entreprise, proposé par Yanick et JC : interdiction de fumer du pot avant 11h du matin.
On se grattait jusqu’à 11h en attendant de pouvoir fumer un bat, mais on était quand même d’accord avec le règlement. De toute façon, ça ne nous tentait plus de commencer aussi tôt; c’est pas l’fun d’être gelé comme une balle à 14h pis de devoir appeler CISM pour dealer des affaires de partenariat! — Gourmet
Ça ne sent pas seulement le pot dans le premier bureau; rappelons que l’interdiction de fumer la cigarette dans les édifices publics n’est pas encore en vigueur au Québec en 2004-2005. Heureusement, parce qu’autrement JC serait souvent dehors – à l’époque, on peut quasiment considérer son cendrier comme un outil de travail. Il arrêtera de fumer quelques années plus tard, mais ceux et celles qui l’ont côtoyé avant ça s’en rappellent ardemment.
Évidemment, les gars ne passent pas leur temps à fumer en fixant les murs; ils prennent la concrétisation de leur projet très au sérieux. On travaillait sans arrêt, 7 jours sur 7, se rappelle Yanick. On n’avait pas d’enfants, pas de relation sérieuse; notre vie, c’était Bonsound. Mais on ne s’en plaignait pas, on trouvait ça tout à fait normal. On n’avait rien de plus pertinent à faire. Leurs efforts portent fruit, et la mission de l’entreprise devient rapidement de plus en plus claire. Rappelons que la raison d’être initiale de Bonsound était de répondre aux besoins des groupes avec lesquels ils travaillent déjà (notamment Les Breastfeeders) en leur offrant des services qui leur seraient autrement inaccessibles.
Diversifier son offre de services pour survivre
Dès le départ, on savait qu’on n’allait jamais vendre de disques en malade, qu’on ne ferait jamais de tournées dans d’énormes salles; on voulait faire les choses autrement. Notre but n’était pas de travailler avec des artistes qui avaient le potentiel de devenir mainstream - pas parce qu’on n’aimait pas la musique plus grand public, mais parce qu’on se reconnaissait pas là-dedans. On s’est dit que si on s’occupe de la promotion et des relations de presse nous-mêmes au lieu de payer du monde à l’externe, qu’on s’occupe du booking, de la production de spectacles, de nos propres demandes de subventions, peut-être que dans ce cas-là on va être capable de survivre. On s’est d’abord créé les services dont on avait besoin pour nos projets, pis on a vu que ça marchait. On savait aussi que les ventes de disques allaient de moins en moins bien, mais que les gens allaient continuer à aller voir des shows. On a réalisé que l’argent se trouvait peut-être plus dans les spectacles et les services auxiliaires que dans la vente de disques. La vision était donc de bâtir une entreprise de services; le label était le plus bas dans nos priorités, déjà parce qu’on avait encore nos petits labels, mais aussi parce qu’on n’en voyait pas l’intérêt. On voulait offrir nos services aux autres labels. — JC
C’est donc par nécessité et débrouillardise, et non par génie créatif, que Bonsound développe le modèle d’affaires qui deviendra la norme de l’industrie vingt ans plus tard. Un modèle qui ne tardera pas à faire ses preuves; si les premiers jours de l’entreprise sont définis par l’incertitude et la précarité, la chance finit par sourire aux gars lorsqu’ils reçoivent un appel qui va changer leur vie, et ce moins d’un mois après leur ouverture officielle.
À l’autre bout du fil, Eli Bissonnette, le fondateur du label indépendant Dare to Care Records, propose à Bonsound de faire équipe avec lui autour d’un projet très particulier. Ce band-là va marcher, mais pour ça, j’ai besoin d’aide. Seul à s’occuper du label, Eli n’a pas le temps ni les ressources nécessaires pour prendre en charge la gérance, le booking et la promo du band – comme c’était le cas pour Blow the Fuse avec Les Breastfeeders.
Le band en question, c’est Malajube – certainement l’un des groupes québécois les plus marquants des années 2000. À l’époque, le groupe est encore relativement inconnu, sur le point de sortir Le compte complet, son premier album. L’opportunité de travailler avec Malajube est un énorme coup de chance pour Bonsound, et les gars sont charmés dès la première écoute; ils acceptent sans hésiter. Les deux entreprises commencent à travailler ensemble sur le projet – Dare to Care en tant que label, Bonsound en tant que gérants, agents de spectacles, promoteurs… tout le reste, dans le fond. Le compte complet voit le jour le 2 novembre 2004, et un spectacle de lancement a lieu un mois plus tard au Café Campus.
Je me rappelle très bien qu’au lancement au Café Campus, j’étais en haut sur la mezzanine avec Yanick, pis les deux on se regardait pis on se disait : Ok man, ça va vraiment marcher c’te band-là. Le feeling était très fort dès le début. Pis je regardais le band jouer devant tout le monde qui capotait… leur succès était assuré à nos yeux. — JC

La gérance, point d’ancrage de la compagnie
Si Les Breastfeeders sont à l’origine de la création de Bonsound, la signature de Malajube est en quelque sorte l’événement qui cristallise le modèle d’affaires de la compagnie : offrir une gamme complète de services à la carte à des artistes émergents, selon leurs besoins, le tout mené avec la philosophie du management. Ce dernier point est particulièrement important, comme l’explique JC : L’esprit de management est au cœur de l’essence de Bonsound depuis toujours, et c’est le trait le plus important encore aujourd’hui. Tout part de là.
Plusieurs des aspects qui caractérisent Bonsound sont directement liés à cette façon de voir les choses. Déjà, les contrats pour les différents services ont toujours été séparés pour permettre un maximum de flexibilité aux artistes, et conçus avec cette question en tête : en tant que gérant / artiste, est-ce que je serais down de signer ce contrat? Les quatre associés ont aussi très vite adopté la ligne directrice selon laquelle le rayonnement de la marque Bonsound ne devrait jamais prioriser sur celui des artistes qu’elle représente. En accord avec cette idée, le premier logo de la compagnie était extrêmement sobre, si on peut même appeler ça un logo; c’était plus une police d’écriture, rendu là. Tous ces aspects sont d’ailleurs résumés en une phrase dans la description officielle de l’entreprise : Bonsound est au service des artistes avec qui elle travaille et ne possède pas leur propriété intellectuelle.

La gérance est le point central de l’entreprise depuis ses débuts, mais les gars n’ont jamais eu l’intention de s’y limiter, justement parce que c’est un métier intrinsèquement limitatif : c’est trop prenant pour permettre de travailler sur un grand nombre de projets. L’implication est totale et très intense, c’est le service qui tire le plus de jus et qui prend le plus de temps à développer et à devenir rentable, surtout si les artistes sont en début de carrière et que tout est à faire. C’est pas juste une question de business; être gérant.e, ça implique souvent de développer et entretenir des amitiés avec les artistes. Qu’on le veuille ou non, c’est difficile de maintenir une relation strictement professionnelle quand on passe autant de temps avec quelqu’un et qu’on travaille aussi fort sur son projet. C’est encore plus complexe quand on travaille avec des bands; la gestion de conflits, la médiation et autres aptitudes interpersonnelles deviennent presque aussi importantes que les compétences professionnelles. Toute cette charge émotionnelle s’ajoute à l’implication déjà très lourde que nécessite le métier.
On voulait éviter de devoir dire non à des projets qui nous font tripper juste parce qu’on n’a plus de place pour eux, pis diviser nos services en différents contrats nous permettait d’avoir plus de flexibilité. C’est pas parce qu’on peut pas prendre un band en management qu’on peut pas l’aider avec le booking ou la promo. — Gourmet
À partir de ce stade-ci, tout va aller très vite pour Bonsound : au fil des mois, l’entreprise signera de nouveaux artistes, engagera sa première employée, verra le départ d’un de ses associés, développera son offre de services et se bâtira une équipe qui prendra de plus en plus d’ampleur. C’est l’occasion parfaite pour laisser la parole à celles et ceux sans qui le succès de la compagnie aurait été impossible – le staff et, surtout, les artistes. À lire dans les prochains chapitres!
Chapitre 1 – Bonsound avant Bonsound
Premier chapitre d'une série d'articles sur l'histoire de Bonsound créée à l'occasion du 20e anniversaire de la compagnie.
Le 1er octobre 2004, Gourmet Délice, Jean-Christian Aubry, Yanick Masse et Pierre B. Gourde s’installent dans un minuscule local de l’ancienne usine Cadbury, dans le nord-est du Plateau-Mont-Royal – c’est la naissance officielle de Bonsound, une toute petite entreprise qui ne tardera pas à devenir l’une des plus importantes de l’industrie musicale québécoise actuelle. On pourrait croire que l’union de ces quatre personnages était réfléchie, calculée, issue d’une vision commune claire et précise. C’est plutôt par pure inconscience que la compagnie a été créée; pas de plan d’affaires, pas d’analyse préalable des forces et faiblesses de chacun, même pas une amitié solide pour les unir. Ils se connaissaient, mais c’est l'urgence de répondre à des besoins qui les touchaient tous les quatre et l’idée selon laquelle l’union fait la force qui les réunit autour d’une même table, à se partager un seul téléphone.

On le sait bien, les entreprises qui se rendent jusqu’à l’âge légal de boire ne courent pas les rues de notre industrie musicale – encore moins celles qui ont été fondées sur un coin de table. C’est un secteur imprévisible, qui comporte un lot d'obstacles suffisant pour épuiser bon nombre d’équipes, tant d’un point de vue humain que financier. Pourtant, Bonsound n’a jamais cessé de croître tout au long des vingt dernières années, et ce malgré les quelques périodes creuses qui auraient pu signifier la fin. Avant de pouvoir expliquer cette longévité, un retour dans le passé s’impose.
Quatre fondateurs, quatre parcours différents
Trois des associés originaux de Bonsound avaient déjà de l’expérience dans l’industrie de la musique avant de se rencontrer. Gourmet était impliqué dans la scène rock indépendante de Québec depuis le début des années 1990. D’abord bassiste dans Les Secrétaires Volantes, un groupe garage punk culte, il déménage à Montréal à la fin de la décennie et rejoint les rangs du premier groupe de Xavier Caféïne (alors simplement nommé Caféïne), avant de former Le Nombre avec Jean-Philippe Roy, un autre ex-membre des Secrétaires en 2002. Il a d’ailleurs été le gérant et booker de la plupart des groupes dont il a fait partie, animé par son ambition et un entregent qui lui a rapidement permis de se développer un réseau de contacts considérable. Gourmet était aussi à la barre de Blow the Fuse Records, un petit label indépendant spécialisé dans le rock et le punk. Pour gagner sa vie, il se chargeait du graphisme et de la mise en page du cahier des nouveautés de Fusion III, un distributeur musical. En gros, la musique a toujours été le point central de sa vie – il ne connaissait rien d’autre, mis à part les plaisirs de la table.



Les Secrétaires Volantes / Caféïne / Le Nombre
Jean-Christian (JC) aussi était musicien : claviériste et membre de Gwenwed, un groupe originaire de Rouyn-Noranda et basé à Montréal qui mêlait le rock, la pop et l’électro. C’est d’ailleurs au sein de Gwenwed qu’on entend pour la première fois la voix de Philippe B, dont la carrière solo prendra éventuellement de l’importance au sein de Bonsound. JC était aussi membre de la formation Comme un homme libre, qui comptait dans ses rangs Joe, bassiste des Breastfeeders (on y reviendra), Karine Isabel, figure emblématique de L’Esco, bar légendaire de la rue Saint-Denis et pierre angulaire de la scène rock indépendante francophone de Montréal, et Marie-Eve Rochon, aujourd’hui directrice du département d'éditions de Bonsound. Les albums des deux groupes paraissaient sous l’étiquette Proxenett (un nom ironique qui ne passerait plus aujourd’hui, donné en référence aux labels d'une autre époque qui arnaquaient les artistes), qui appartenait à JC et son coloc Eric Morin, drummer et directeur artistique de Gwenwed ainsi que futur créateur et réalisateur de Mange ta ville, un magazine culturel TV qui deviendra très important pour la scène indie québécoise. C’est JC qui gérait le gros des opérations administratives de Proxenett. Son background était donc assez similaire à celui de Gourmet, quoiqu’un peu moins punk – et ça se ressentait dans sa façon de gérer les affaires de Gwenwed, beaucoup plus by the book que l’ethos DIY de Gourmet avec Blow the Fuse. Outre la musique, JC était aussi passionné d’urbanisme; il était d’ailleurs chercheur à l’INRS dans ce domaine avant la création de Bonsound.


Gwenwed / Comme un homme libre
La carrière musicale de Yanick était beaucoup plus modeste, et se résumait à une basse achetée à 16 ans puis revendue deux mois plus tard. Il n’avait peut-être pas d'expérience sur scène, mais il connaissait bien les rouages de l’industrie du spectacle. C’est lui qui gérait la programmation de L’Artishow, un bar de Joliette qu’il avait ouvert à 19 ans – il y organisait les shows d’artistes comme Fred Fortin, Mononc’ Serge et compagnie, mais aussi de bands locaux de Joliette et de Berthierville. Il a été propriétaire de L’Artishow pendant 7 ans, jusqu’à ce qu’il fasse faillite avec celui-ci. S’ensuivit un déménagement à Montréal, où il a été d’abord serveur puis gérant de salle du Cabaret Juste pour Rire, et s’est trouvé une deuxième job en tant que directeur de tournée de Yann Perreau, qui venait à l’époque de sortir son premier album solo.
Pierre, le quatrième associé, avait moins d’expérience concrète dans l'industrie, mais la même passion ardente pour la musique que les trois autres. En fait, avant de cofonder Bonsound, Pierre était fonctionnaire : il travaillait à l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) et s’occupait d’un programme d’échange scolaire France-Québec axé sur les services culturels. Passionné de musique depuis sa jeunesse, il s’intéressait particulièrement au punk et au rock indépendant, mais l’importance qu’il y accordait à l’adolescence avait commencé à s’estomper graduellement au tournant de l’âge adulte. Dans les années 90, surtout si tu venais de la campagne, t’avais pas accès à une infinité de shows; on finissait souvent par toujours voir les mêmes bands, se rappelle-t-il. J’avais aussi de moins en moins de temps à consacrer à ça. Tout ça m’a fait décrocher un peu, je pense. Sa flamme s’est rapidement ravivée au début des années 2000 avec la démocratisation d’Internet, qui permettait de repousser les limites de la découverte musicale vers des horizons jusqu’alors inimaginables; on peut même dire qu’elle n’avait jamais brûlé aussi fort. À l’époque, Pierre avait déménagé à Montréal depuis peu, ce qui lui permettait d’assister aux shows d’une plus grande variété d’artistes. Il était aussi fraîchement célibataire, et venait de décrocher un emploi stable; il avait plus de temps et d’argent à investir dans sa passion.
Les quatre gars se connaissent de loin et se croisent à quelques reprises au début des années 2000 – certains jouent dans les mêmes circuits avec leurs groupes respectifs, d’autres ont des ami.e.s en commun.
La première fois que j’ai croisé Gourmet, c’était backstage au Spectrum pendant le tournage de l’émission Les folles nuits de Montréal, en 2001. Moi j’y étais avec Gwenwed, Gourmet était là avec Caféïne. On se connaissait plus ou moins de nom et de visage, mais je sais même pas si on s’est adressés la parole ce soir-là. — JC
Les Breastfeeders, un point de rencontre
À la même époque, un groupe émergent combine l’énergie du rock garage et les mélodies du mouvement yé-yé : Les Breastfeeders commencent à faire jaser à Montréal par la seule force de leurs spectacles, sans même avoir un album ou un EP à leur actif. Le groupe sert de point de rencontre pour les futurs fondateurs de Bonsound, qui gravitent tous les quatre autour du band pour des raisons différentes. C’est dans ce contexte qu’ils passent de simples connaissances lointaines à partenaires d’affaires.

Dès le départ, c’est Yanick qui est le plus proche du groupe. Sa blonde de l’époque vit en colocation avec Johnny Maldoror, tambouriniste et bête de scène des Breastfeeders. À force de côtoyer le groupe et de les voir en show, Yanick se rend compte qu’ils n’ont pas de gérance, et qu’il serait intéressé à prendre le rôle en main. Il n’a jamais fait ça, mais décide quand même de leur en parler; après tout, il se doute bien qu’il est beaucoup plus organisé qu’eux, même sans expérience. Le timing est bon, ils viennent justement de gagner le droit d’envoyer un.e représentant.e aux Rencontres Trans Musicales à Rennes, en France. Le band accepte donc de prendre Yanick comme gérant, et l’envoie aux Trans Musicales. On lui donne aussi une deuxième mission : Y’a un gars à Montréal avec un p’tit label qui serait peut-être intéressé à sortir notre album. C’est Gourmet Délice, son nom. Tu devrais l’appeler pis checker ça avec lui.
De son côté, Gourmet connaissait de loin les membres du groupe, mais c’est par le biais de son day job qu’il commence à s’y intéresser sérieusement. Un collègue chez Fusion III connaît bien Les Breastfeeders et met la main sur leurs démos, qu’il refile à Gourmet. Quand Yanick le contacte pour parler officiellement d’une potentielle sortie sur Blow the Fuse, Gourmet accepte sans hésiter, mais le prévient qu’il est seul à la barre du label. En discutant avec lui, Yanick réalise que Gourmet n’a peut-être pas les ressources nécessaires pour satisfaire à lui seul l’ambition des Breastfeeders. Certes, il pouvait distribuer un peu partout avec Blow the Fuse et son expérience dans les circuits indépendants lui avait amené un bon réseau de contacts, mais ses connaissances de l’industrie grand public, des subventions et autres technicalités légales de commercialisation à plus grande échelle n’étaient pas tout à fait développées. Les deux gars en conviennent que Les Breastfeeders ont besoin d’une équipe plus fournie, avec plus d’argent et de temps à investir sur le projet, mais force est d’admettre que le band est un bon fit pour l’étiquette. J’ai un nouvel ami qui a réussi à m’obtenir une subvention pour les Breast, dit Yanick à Gourmet pendant l’un de leurs premiers meetings. C’est Jean-Christian, son nom. Il connaît bien le band, je suis sûr qu’il serait prêt à nous aider avec la sortie de l’album.
Pendant que Gourmet et Yanick entament les discussions, Gwenwed, le groupe de JC, partage un local de pratique avec Les Breastfeeders. C’est d’ailleurs comme ça qu’il se ramasse à jouer du clavier sur quelques chansons de leur premier album et à les accompagner sur certains shows. Quand le band a besoin d’un Farfisa, JC n'est jamais bien loin! Non seulement connaît-il bien le band, il faut savoir qu’il a toujours eu une facilité avec les documents légaux et contractuels qui va au-delà de ce qu’on attend d’un musicien. Gwenwed n’a pas de gérance, c’est donc lui qui s’occupe des technicalités nécessaires au développement du groupe. Au moment de sortir le premier album des Breastfeeders, il a déjà acquis un peu d’expérience dans tout ce qui touche les aspects entrepreneuriaux de l’industrie musicale : éditions, distribution, demandes de subventions, finances, toute la poutine. Puisque Yanick a déjà bénéficié de son aide, il sait que JC serait un atout pour la sortie de l’album.
Et Pierre, dans tout ça? Il rencontre Gourmet dans le cadre d’un événement qu’il organise et pour lequel il engage Caféïne. En faisant connaissance, les deux gars se rendent compte qu’ils sont liés par la blonde de Pierre, qui est aussi la sœur de Jean-Philippe Roy, guitariste du Nombre. Ils deviennent rapidement amis, unis par leurs goûts musicaux similaires. De fil en aiguille, Pierre commence à aider Gourmet, d’abord comme booker du Nombre, puis d’autres groupes affiliés à Blow the Fuse, notamment Les Breastfeeders.
La classe moyenne de la scène montréalaise
Yanick, Gourmet, JC et Pierre se retrouvent donc à travailler ensemble avec Les Breastfeeders, et frappent tous le même mur – il y a un manque flagrant de services au Québec pour les groupes indie émergents. En fait, Les Breastfeeders se retrouvent coincés entre les quelques grosses maisons de disques grand public et les entreprises DIY issues des scènes alternative, punk et métal. C’est un problème que nos protagonistes connaissent très bien : JC le vit d’ailleurs en temps réel avec Gwenwed.
À l’époque, personne ne voulait signer de bands indie rock. Audiogram était beaucoup trop grand public pour prendre le risque de signer un artiste qui ne serait pas un succès de ventes quasi-garanti. La Tribu, qui existait depuis quelques années, représentait pas mal de groupes alternatifs à ses débuts, mais semblait prendre un virage plus chanson depuis la signature des Cowboys Fringants. D’un autre côté, il y avait une poignée de labels indépendants, par exemple Indica Records, qui pouvaient offrir des services très décents, mais qui étaient généralement axés sur une scène précise; ça restait très contingenté, en quelque sorte. On (Gwenwed) ne faisait pas du punk ou du métal, donc on n’était pas un bon fit pour les services offerts à ces scènes-là. — JC
L’enjeu est particulièrement complexe parce qu’il ne concerne pas que les maisons de disques. On peut observer le même problème dans la plupart des secteurs de l’industrie. Très peu d’agences de spectacles s’intéressent au rock alternatif – Louis Carrière avait fondé Preste quelques années auparavant, mais la compétition est féroce. Tout le monde rêvait de se faire booker par Louis Carrière, se rappelle JC. Les relationnistes de presse à leur compte en musique sont alors beaucoup plus rares qu’ils le sont aujourd’hui, et les artistes indépendants ne peuvent pas forcément se permettre leurs services.
En fait, c’est d’une espèce de classe moyenne qui n’existe pas vraiment dont les gars ont besoin : des services complets et professionnels pour des artistes plus alternatifs, un équilibre entre le commercial et le 100% DIY. Les Breastfeeders, Caféïne, Gwenwed, tous ces groupes avaient quand même un côté pop, on pouvait voir un potentiel commercial modeste. Mais pour ça, on avait besoin de services! Des artistes originaux et talentueux qui tombent dans une craque comme ça, il y en a beaucoup à l’époque, et ceux qui fonderont bientôt Bonsound le savent très bien.
Une entreprise créée par nécessité
Cette réalisation de l’ampleur du manque de services pour les artistes indépendants au Québec est le premier élément déclencheur de la création de Bonsound. Un autre, beaucoup plus personnel, trotte déjà dans la tête des quatre futurs associés : ils sont tous un peu au pied du mur à leur façon, pris dans une sorte de croisée des chemins. Pour Gourmet, c’est de plus en plus difficile de concilier sa job chez Fusion III, les opérations de Blow the Fuse et sa carrière musicale. Quand l’opportunité de partir en tournée avec Le Nombre en Europe deux fois dans la même année se présente à lui, il se fait dire par son supérieur chez Fusion III qu’il doit choisir entre son poste et son band. Il troque donc son emploi pour le chômage.
À l’époque, j’étais déjà rendu à 36 ans, et la pression de trouver un vrai métier se faisait de plus en plus sentir. Toute ma vie adulte avait été entièrement dédiée à la musique, je n'avais aucune autre expérience ni l’envie de faire autre chose. — Gourmet
JC a une perception bien différente de sa carrière musicale, dont il a déjà fait le deuil depuis un bout de temps. Je savais déjà que je ne resterais pas musicien toute ma vie, que j'avais besoin d’un autre mode de vie. Il hésite entre se lancer complètement dans le monde académique et laisser sa passion de jeunesse pour la musique de côté, ou faire quelque chose d’autre en lien avec l’industrie musicale. Quant à lui, Yanick vient tout juste de faire faillite avec son bar, ce qui le laisse évidemment dans une situation financière difficile. Le Cabaret Juste pour Rire, c’est une jobine en attendant de trouver autre chose, et la direction de tournée de Yann Perreau n’est pas assez payante pour subvenir à ses besoins. Contrairement aux deux autres, Yanick n’a aucunement l’intention de faire carrière dans l’industrie de la musique à long terme, et ce même s'il a les deux pieds dedans. Finalement, Pierre aide toujours Gourmet avec le booking des artistes signés chez Blow the Fuse, mais il a perdu l’emploi qui lui permettait de gagner sa vie.
La table est mise, les premières discussions au sujet de l’éventuelle création de Bonsound ont lieu. Pendant à peu près un an, Yanick, JC, Pierre et Gourmet parlent de se lancer en affaires ensemble. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’ils veulent fonder une entreprise qui pourrait combler le manque de services accessibles à cette fameuse classe moyenne musicale dont ils pensent faire partie. Ils finissent éventuellement par trouver un nom – Gourmet avait acheté le nom de domaine bonsound.com en 1999, sans avoir la moindre idée de ce à quoi ça servirait. Le choix est donc évident, même pas besoin d’y réfléchir. Après ça, le premier move a été de louer un local, avant même d'avoir une vision claire des services qui seraient offerts par Bonsound; le loyer entre en vigueur le 1er octobre 2004. La vie étant ce qu’elle est, les gars ont à peine le temps de cligner des yeux qu’ils doivent déjà s’installer dans leur nouveau bureau, sans plan d’action concret. Ils investissent chacun 435$ dans un fond commun qui servira aux finances de l’entreprise – c’est tout ce qu’ils peuvent se permettre.
On n’avait pas grand-chose à perdre, dans le fond. Même si ça plantait après un an, on était assez jeunes pour se relever. On avait juste à louer un local, c’est pas comme si on ouvrait un restaurant et qu’on devait investir une grosse somme d’argent dès le départ. Même-là, le local servait surtout à symboliser la prise au sérieux du projet et à faciliter la communication entre nous quatre. — Yanick
Si c’était à refaire, jamais on ne referait ça de la même façon aujourd’hui. Quand on y pense deux minutes, c’était vraiment une mauvaise idée : on ne se connaissait pas vraiment, pis on n’avait pas une crisse de cenne. — JC
C'est donc dans un contexte incertain à s’en ronger les ongles que Bonsound voit officiellement le jour. S’ensuivent vingt ans de succès et d’échecs, de partys mémorables (ou pas) et de travail acharné, de moments inoubliables et d’autres qu’on préfèrerait oublier, mais surtout vingt ans de musique.
Vingt ans d’histoire à découvrir dans les prochains articles de cette nouvelle série qui seront publiés ici-même, sur le Blog Bonsound.